Sony Labou Tansi
En quelque quinze ans de créations depuis la fondation de sa troupe, le Rocado Zulu
Théâtre, à Brazzaville en 1 979 et jusqu’à sa mort en 1 995 à l’âge de 48 ans, Sony Labou
Tansi a imposé ses mots, emportant lecteurs et spectateurs dans une savoureuse
provocation iconoclaste et une joyeuse sarabande langagière. Avec six romans –
depuis La Vie et demie en 1 979 jusqu’au Commencement des douleurs publié après sa
mort –, avec une quinzaine de pièces de théâtre publiées et/ou représentées, avec
deux recueils de poèmes et plusieurs recueils composites (correspondances, entretiens,
poèmes, théâtre) également posthumes, l’écrivain congolais laisse une trace fulgurante
et tenace dans l’histoire littéraire africaine.
À cette fièvre créatrice, il faut ajouter son rôle de fondateur et d’animateur de troupe
de théâtre – le Rocado Zulu Théâtre fut l’une des rares troupes africaines à connaître
une reconnaissance internationale tout en demeurant enracinée en terre africaine. Ses
pièces ont toujours été représentées d’abord au Congo avant d’aller vers d’autres
écoutes africaines et occidentales, dans la complicité d’autres regards de Limoges à
Paris, de Montréal à Turin, de Carthage à New-York. Bénéficiant d’une large
reconnaissance tant au coeur du continent africain qu’au-delà de ses frontières, Sony
Labou Tansi a multiplié les interventions et les prises de paroles et n’a cessé de frapper
de ses "chairs mots de passe" nos consciences assoupies.
Aux côtés de ses écrits littéraires le romancier, poète et dramaturge n’a cessé d’écrire
des textes, publiés ou non, sur sa conception du monde et de la vie de la cité, des
courriers, des lettres ouvertes, des cris, des rages, des attentes, des indignations, des
insurrections, des fièvres...
Sony Labou Tansi sut éviter soigneusement les chausse-trappes d’une littérature
"exotique" cédant aux "africanités" et autres facilités si souvent de mise et parfois
encouragées par des complicités mal pensantes et des connivences mercantiles. Il a
forcé l’exigence et brûlé toutes les escales.
Vingt ans après sa mort, son oeuvre trace le sillon d’une épopée rebelle. Ses mots se
tiennent droits, crus et drus, comme autant de sirènes d’alertes, de vigies essentielles
suscitant l’interrogation et le doute. Ses cris demeurent un repère, un appel aux
audaces, une enseigne où il fait bon s’inscrire. Une oeuvre à donner à lire, à voir.
Bernard Magnier